Dispositif dans le premier degré
Dispositif dans le premier degré
Une communauté de pratique et un travail sur l'ergonomie des ressources pour favoriser la pratique des activités de recherche dans les classes de cycle 3 de l'enseignement primaire

Jean-Philippe Georget
IUFM Orléans-Tours
Doctorant DIDIREM, Université Paris 7
Introduction

Malgré des instructions ministérielles assez fortes, les enseignants de l'école primaire pratiquent relativement peu, voire jamais, des activités de recherche dans leur classe. De plus, il semble difficile pour un enseignant seul de se lancer dans une telle pratique d'autant que les documents existants évoquent rarement la transition entre pratiques « anciennes » et pratiques « nouvelles » à commencer par les documents qui accompagnent les programmes comme le montre notre étude de ceux-ci. D'autre part, le travail collaboratif entre enseignants est peu développé en France, les échanges à propos des pratiques existantes sont rares alors qu'ils sont susceptibles de favoriser des changements de pratique. Nous pensons que les concepts de la théorie des communautés de pratique, développée par Wenger (2005), peuvent être utiles pour décrire, concevoir et gérer un dispositif pertinent pour favoriser la pratique d'activités de recherche de mathématiques dans les classes et des échanges autour de ses pratiques. À la suite du travail mené pour l'obtention de notre DEA (Georget 2003) et dans le cadre d'une thèse de doctorat en didactique des mathématiques (Georget à paraître), nous poursuivons l'étude d'une communauté de 5 à 8 enseignants volontaires issus de deux circonscription d'Indre-et-Loire que nous avons constituée et accompagnée sur 3 années scolaires dans la période 2003-2005.

Dispositif

Nous envoyons un courrier dans des écoles afin d'informer les enseignants de notre projet de favoriser les pratiques d'activités de recherche dans les classes et, en premier lieu, d'étudier avec certains volontaires ce qu'il semble possible de pratiquer dans leur propre classe en matière d'activités de recherche. Suivant en cela les recommandations de Wenger en matière d'accompagnement de communautés de pratique, nous proposons un dispositif qu'il appartient à la communauté des enseignants volontaires de régulièrement questionner et éventuellement de modifier. Notons que ce dispositif fonctionne en dehors de l'institution Éducation Nationale, même s'il a l'aval des inspecteurs des circonscriptions concernées, afin de nous laisser la liberté de choix en ce qui concerne le dispositif. Ce dernier est principalement composé ainsi :
  • un site Web présentant de façon simple et « minimaliste » des informations sur le projet et plusieurs activités de recherche – de type problèmes ouverts (Arsac et al. 1991) – déjà expérimentées dans des classes et essentiellement extraites de la recherche ERMEL (Douaire et Hubert 1999) ;
  • la proposition pour chaque enseignant d'envoyer un compte-rendu à la suite de ces séances consacrées aux activités de recherche ;
  • des réunions afin de discuter des pratiques dans la classe des membres de la communauté de pratique, du dispositif, etc.

Discussion à propos du dispositif

Le site Web présente donc des informations à propos d'une dizaine de problèmes ouverts qu'il est possible de proposer à des élèves du cycle 3. Pour chacun d'eux, la présentation est faite à l'intention des enseignants. Peu ou aucune indication de nature pédagogique ou didactique n'est fournie aux enseignants. Il s'agit de présenter des ressources simples et rapides à consulter aux enseignants et aussi de provoquer des discussions sur les « manques » du site Web. L'expérimentation a révélé que les enseignants n'ont pas demandé davantage d'information. Ils ont particulièrement apprécié le côté minimaliste retenu, le fait que le site soit très rapide à consulter ainsi que d'avoir une marge de liberté importante pour faire des choix adaptés à leur classe. Devant certaines difficultés rencontrées par les enseignants, nous avons cependant proposé quelques ajouts tels des éléments des situations qui pouvaient permettre des débats de type mathématiques entre élèves. Les enseignants ont apprécié ces ajouts d'autant qu'ils respectaient l'approche minimaliste. Ils ont notamment noté que, tout en leur laissant leur liberté d'adaptation, ces précisions leur permettaient par exemple de ne pas être trop surpris devant certains chemins suivis par les élèves, certaines interrogations des élèves.

La modalité des comptes-rendus est reconnue utile par les enseignants et ils s'impliquent dans les discussions qui les concernent : choix des éléments qui pourraient ou devraient y figurer, consultation, etc. mais il s'avère que cet aspect du dispositif est coûteux en temps de rédaction. Ceci est la principale explication pour expliquer que, même si les enseignants apprécient a priori cet aspect du dispositif, qu'ils apprécient de lire les comptes-rendus des autres enseignants, ils envoient finalement peu de comptes-rendus. Ainsi, elle reste une modalité dont l'intérêt est rarement remis en cause et le concept de réification en particulier (Wenger 2005) décrit bien le fait que cette modalité « vit » dans la communauté, qu'elle lui permet de travailler autour de la pratique bien au-delà de l'existence des comptes-rendus finalement écrits.

Enfin, les réunions en présentiel sont nécessaires car les échanges par voie électronique sont peu fréquents et réduits aux contingences même quand nous cherchons à initier d'autres types d'échanges. On peut l'expliquer d'une part par le temps nécessaire à discuter de pratique professionnelle par courriel interposé et d'autre part par la rigueur que ce média impose si on le compare à une discussion en face à face. Pour autant, les enseignants ne sont pas tous présents à ces réunions même s'ils s'accordent sur la date. Comme pour les comptes-rendus, la communauté s'approprie la modalité proposée et permet à ses membres de travailler autour des pratiques au-delà de la simple présence à ces réunions.

Conclusion

Les pratiques observées au cours de notre expérimentation ont évolué. En effet, les enseignants laissent davantage la charge de la preuve aux élèves, la résolution d'un même problème peut s'étendre au-delà d'une unique séance, des problèmes plus abstraits sont proposés plus facilement aux élèves. Des aspects de ce type de séances restent cependant difficiles à gérer telle la mise en commun des travaux des élèves et la gestion des échanges d'arguments entre élèves plutôt qu'entre les élèves et l'enseignant. L'activité de la communauté a permis de proposer à chacun des solutions ou des alternatives, mais nous n'avons pu étudier les effets de toutes ces propositions. Des impacts sont aussi relevés dans les pratiques déclarées, au-delà des seules activités de recherche : parties du programme traitées au lieu d'être délaissées, plus grande implication des élèves dans d'autres activités, approche différente des activités de recherche dans d'autres disciplines.
En conclusion, notre expérimentation apporte du crédit à l'hypothèse d'un travail des ressources du point de vue de l'ergonomie notamment pour répondre d'une part aux contraintes, notamment celle concernant le temps, des enseignants et aussi pour penser a priori la nécessaire adaptation des ressources à chaque enseignant et à leur propre pratique, à chaque classe, etc. Notre travail montre aussi l'intérêt de la théorie des communautés de pratique pour la création et l'accompagnement de communautés d'enseignants, intérêt qui n'est pas que théorique et qui ne relève pas uniquement de la recherche. Enfin, ce dispositif est situé en dehors de l'institution Éducation Nationale et il reste à étudier ce que cette institution pourrait « se permettre » en matière d'accompagnement de telles communautés de pratique.

Références
Arsac G., Germain G., Mante M. (1991), Problème ouvert et situation problème, IREM, Lyon.
Douaire J., Hubert C. (1999), Vrai ? Faux ?... On en débat ! De l'argumentation vers la preuve en mathématiques au cycle 3, ERMEL INRP, Paris.
Georget J-P. (2003), Tentative d'initiation d'un travail collaboratif entre des enseignants de l'école primaire (CM1/CM2) autour de la pratique de problèmes de recherche, Mémoire de DEA , Université de Paris 7, Paris.
Georget J-P. (2006 à paraître), Favoriser la pratique des activités de recherche dans les classes de cycle 3 de l'enseignement primaire : communauté de pratique, pratiques d'enseignants et échanges autour de ces pratiques, Colloque EMF, 27-31 mai 2006, Sherbrooke, Québec.
Robert A., Rogalski J. (2002), Le système complexe et cohérent des pratiques des enseignants de mathématiques : une double approche, Revue canadienne de l'enseignement des sciences, des mathématiques et de la technologie,
Wenger E. (2005), La théorie des communautés de pratique, apprentissage, sens et identité, traduction de l'anglais par Fernand Gervais, Les presses de l'Université, Laval.
Wenger E. (1998), Communities of Practice, Learning, Meaning and Identity, Cambridge University Press, Cambridge. (édition anglaise)
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