Résolution de problèmes
Résolution de problèmes

1. Un constat.
Dans l'enseignement usuel des mathématiques, des connaissances sont introduites aux élèves par l'enseignant et sont appliquées à la résolution de problèmes assez typés, qui se fait d'abord par imitation : l'enseignant montre comment résoudre un exercice, puis demande aux élèves de reproduire ce qu'il vient de faire pour en résoudre d'autres qui n'en sont que des variantes de difficulté technique variable. Des problèmes plus ambitieux demandent certes que l'élève pense à utiliser un résultat du cours ou une des question intermédiaires précédentes ; mais on n'attend pas (sauf dans des cas exceptionnels) que l'élève invente lui-même ces questions intermédiaires, qui sont données parce que sinon il ne saurait pas résoudre ce problème trop difficile pour lui.
Cette pratique habituelle de l'enseignement des mathématiques, fructueuse par certains côtés, n'épuise cependant pas la richesse de l'activité mathématique, et de plus maintient les élèves dans un rôle très passif relativement aux situations qui leur sont proposées.
Une part importante du travail mathématique consiste en effet à se poser de bons problèmes, des problèmes dans lesquels on a une chance de pouvoir progresser. Pour résoudre un problème trop difficile pour soi, il faut savoir se poser d'autres problèmes plus simples : il faut s'inventer quelque chose que l'on sache faire, et qui nous rapproche du but désiré. Mais comment faire ? Comment chercher ? Cette étape du travail est trop souvent occultée dans l'enseignement usuel : ou bien le problème est suffisamment facile ou déjà connu pour être résolu directement, ou bien il est décomposé en questions intermédiaires données, dont le plan d'ensemble échappe souvent à l'élève. Nous pourrions ainsi formuler ce constat de la manière suivante : nous apprenons aux élèves à résoudre des problèmes, mais nous ne leur apprenons pas à s'en poser.

2. Une proposition de travail.
L'activité que nous proposons vise à augmenter l'autonomie des élèves dans la recherche, et leur appropriation des mathématiques.
  • Les problèmes que nous proposons sont des problèmes complexes, présentés hors de tout programme et ne nécessitant pas de connaissances spécifiques indispensables pour commencer la recherche. Celle-ci peut d'ailleurs se faire avec des classes de niveaux divers (collège, lycée), chaque niveau ayant évidemment ses concepts et moyens propres. L'idée est précisément que ces problèmes soient suffisamment "faciles" pour que tous les élèves puissent les aborder et avancer dans leur recherche avec leurs propres moyens, mais également suffisamment difficiles pour que la plupart des élèves ne puissent en épuiser seuls toute la richesse. Pour cette raison, nous proposons aux élèves de travailler de manière collaborative, au sein de la classe et entre classes via une plate-forme sur Internet.
  • Les énoncés des problèmes sont volontiers imprécis, pour inciter les élèves à se les approprier et leur apprendre l'importance et le rôle des choix d'interprétation. D'une manière qui ne se veut pas démagogique, nous pourrions dire que nous souhaitons que les élèves se créent leurs propres problèmes, à travers ces prises de décision. Naturellement, cette proposition amène avec elle un certain risque d'anarchie : si chaque élève se crée son propre problème, comment un travail collaboratif peut-il se mettre en place et comment peut-on tenir un discours qui intéresse toute la classe ? Ce risque est réel, mais doit être modulé : en pratique, beaucoup d'élèves font les mêmes choix d'interprétation et convergent vers un même problème. D'autre part, cette étape du travail nous semble faire pleinement partie de l'activité mathématique. Ce problème est-il ambigu, et si oui de quelle manière l'est-il ? Peut-on résoudre les ambiguïtés de plusieurs manières différentes ? Ce problème admet-il des variantes ? Si oui, comment sont-elles reliées entre elles ? Telle variante est-elle plus faible, plus forte, plus générale ? Semble-t-elle plus "plausible" ? Plus facile à résoudre ? Plus intéressante ?

    A travers ce questionnement les élèves peuvent être amenés à une vision plus riche, moins univoque et réductrice, des mathématiques. Les mathématiques sont vivantes, y compris au niveau de l'élaboration même des problèmes. Cette étape du travail favorisera également la communication dans la classe et entre classes, et renforcera le caractère social de l'activité mathématique. Même lorsqu'une interprétation du problème a été choisie, la recherche peut (et doit) rester vivante et non dogmatique. Il peut y avoir à certains moments remise en cause des choix initiaux et redéfinition des objets : après avoir longtemps réfléchi, le problème a pris une autre forme et s'est enrichi ; certains choix initiaux, parfois implicites, ne nous paraissent peut-être plus si évidents ; la question elle-même de l'énoncé, ce que le problème demande de faire, peut avoir pris un sens plus subtil, ou différent.
  • Il est également très important que les élèves s'habituent à faire face à des problèmes qu'ils ne peuvent pas résoudre complètement. Il faudra souvent qu'ils se contentent de solutions partielles, de l'importance desquelles ils devront discuter et argumenter entre eux. Là encore les mathématiques sont vivantes, et non figées dans la résolution d'exercices bien posés. Dans certains cas, les problèmes proposés n'auront d'ailleurs pas de réponse connue à ce jour. Ils ne pourront peut-être pas être "résolus", ils n'auront pas de fin, même s'il faudra mettre un terme à la recherche et faire le point sur le travail effectué.

    Remarquons que l'on ne peut évidemment pas attendre ici la même "efficacité" de la part des élèves que lors d'exercices plus traditionnels. S'il se réfère à ce standard, l'enseignant peut avoir l'impression que ses élèves n'avancent pas et que leur production est minime, alors qu'elle est tout simplement différente. Il est nécessaire que l'enseignant porte un autre regard sur le travail fourni par les élèves, que l'on peut difficilement analyser en référence aux évaluations traditionnelles. Un des rôles de l'enseignant est précisément de faire ressortir le travail mathématique accompli par les élèves, car fréquemment ceux-ci ne le réalisent pas, ou peu.
Les problèmes ouverts au sens défini par l'équipe de L'IREM de Lyon est un cas plus particulier de la résolution de problèmes complexes.

3. Retour aux exercices traditionnels.
Nous sommes convaincus que la pratique de l'activité mathématique décrite ci-dessus est bénéfique et profite aux élèves y compris lors de la résolution d'exercices classiques.
  • Ils auront appris à prendre plus de recul vis à vis de l'énoncé d'un problème et à être capables de le questionner (ce qui fait partie intégrante de la recherche mathématique). Nous savons qu'un énoncé véhicule souvent une grande part d'implicite chez les élèves (et les enseignants !), et que cet implicite en freine la résolution, même dans des exercices simples. Les élèves, ayant compris qu'un énoncé de problème se construit et n'est pas donné une fois pour toutes, seront sans doute plus à même de se demander si l'interprétation qu'ils en font est celle attendue ; d'imaginer une autre interprétation de l'énoncé.
  • Les élèves auront également appris à mieux se situer face à un exercice qu'ils ne savent pas immédiatement faire. Nous savons que nombre d'élèves ne savent pas quoi entreprendre lorsqu'ils n'ont pas directement la solution ou lorsqu'il ne s'agit pas d'un type d'exercice bien connu et déjà pratiqué. Le travail sur des exemples, des cas particuliers ou des généralisations, des variantes, des problèmes analogues, la recherche de solutions partielles, tout cela devrait permettre à l'élève de progresser dans sa recherche et de ne surtout pas rester à ne rien faire face à une difficulté.

    Références
Polya G. (1953), How to solve it, Princeton University Press . (1989 pour l’édition française, Gabay)
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